Côte d'Émeraude est le nom donné par Eugène Herpin(avocat et historien, ancien élève du collège de St Malo) en raison de la couleur de la mer à certains moments, à la partie de la côte nord de la Bretagne située entre le Cap Fréhel et Cancale. C'est à n'en pas douter la portion du littoral qui m'est la plus familiere pour y vivre depuis bien longtemps. Ne soyez donc pas étonnés si je vous la fais découvrir en détail. Je m'attarderai un peu moins sur les autres endroits où j'ai l'intention de vous emmener, laissant aux autochtones le soin de vous révéler les secrets, légendes et mystères des lieux qu'eux seuls connaissent.
Cancale - vue générale
Cancale délimite par l'Ouest la célèbre baie du Mont St Michel, bénéficiant d'une position avancée la ville doit la plupart de ses ressources à la mer. En fait, Cancale vit par et à travers ses huîtres(réputaiton comme fondations) et cela ne date pas d'hier.
Les Romains installés en Armorique appréciaient déjà le fameux coquillage. Plus tard, les Anglais, entre deux bombardements et une tentative de débarquement pour prendre St Malo à revers, ne se gênèrent pas pour piller les fonds de la baie. Quant au roi de France, il se faisait livrer (avant la révolution) ses bourriches à Versailles deux fois par semaine.
Petit village fondé en 545 par St Méen, Cancale obtint le statut de ville à part entière en 1545.
Le port de la houle
Quartier des pêcheurs depuis la nuit des temps, la Houle ne comporte qu'une seule grande rue, en bordure de mer, où débouchent de minuscules ruelles aux maisons serrées contre la falaise. Là, vivaient dans chacune d'elles plusieurs familles, qu'un saint bien à l'abri dans sa niche protégeait contre vents et marées. Petite commune aux croyances religieuses très ancrées, elle fut envahi par les Espagnols et les Portugais, dut ensuite subir les attaques des Anglais et des Corsaires avant que de livrer de rudes batailles aux Chouans.
Afin de protéger cette partie de la côte contre les invasions, quelques forts seront érigés dont un sur la presqu'île de l'Anse de Duguesclin située à quelques kilomètres du port. Construit au XIIème, il va être remplacé par une forteresse carrée dès le siècle suivant par les ancêtres du chevalier ; nous y reviendrons prochainement.
Le Môle de l'Epi
Avant la construction du port, les lourds bateaux à voiles carrées venaient s'échouer sur la grève, ce n'est qu'en 1836 donc bien après l'appariton des bisquines que va être construite une digue permettant de protéger les maisons des colères des éléments. Il faudra attendre 1848 pour voir naître le Môle de L'Epi(curieuse digue percée d'encoches où les bateaux engageaient leur proue pour accoster et décharger leurs marchandises. Plus tard l'Epi sera doublé par la jetée de la Fenêtre, plus adaptée à l'évolution des méthodes de pêche.
La jetée de la Fenêtre
Au début du XXème siècle Cancale va connaître un tournant radical, le banc d'huîtres s'épuise et il faut réglementer le pêche. Ce sera l'ère de la "Caravane" :
-"Une journée un peu particulière qui rompt une fois par an avec le rude quotidien". Pendant le temps d'une marée, les pêcheurs pouvaient draguer la baie et ramasser autant d'huîtres qu'ils le souhaitaient. Il était coutume de vider la récolte par dessus bord sur la grève afin qu'à marée basse les femmes et les enfants puissent venir trier les fruits de mer. Une épidémie va mettre fin à cette journée prolifique pour tous.
Devant la règlementation imposée durant toute l'année, les gens de la Houle échangent donc leur banc d'huîtres contre les bancs de Terre Neuve. C'est alors que la partie haute de la ville va se développer, car si les pêcheurs demeurent proches de la mer, les armateurs et les capitaines s'installent "en haut" du moins jusqu'à la grande grève des Terre Neuvas en 1911, date à laquelle ils préfèrent St Malo.
Ville de pêcheurs confrontée à une dure réalité économique depuis toujours, Cancale doit beaucoup à la tenacité et au courage des Cancalaises. Sans doute à cause du fait que les hommes étaient en mer une grande partie de l'année, le matriarcat dominait dans la petite communauté où l'on appelle toujours les femmes par leur nom de jeune fille. Parmi les cancalaises passées à la postérité, on compte au XVIIIème Marguerite Julienne Lepetou, surnommée le "bourreau de Lyon". Enrôlée dans l'armée déguisée en homme, elle exerça à Lyon durant 27 ans la tâche d'éxécuteur sans se trahir. Cancale a aussi vu naître Jeanne Jugan qui fonda en 1842 la congrégation des petites soeurs de pauvres sous le nom de Soeur Marie de la Croix.
Cancale - La Houle et la ville haute
C'est au début du XXème siècle que le tourisme a démarré à Cancale même s'il était loin d'être aussi développé qu'à Dinard ou St Malo. Les curieux venaient en tram de la ville corsaire pour voir les tas de coquillages sur la grève. Un seul hôtel luxueux pouvait alors prétendre accueillir les hôtes de marque. En ce début de siècle, Cancale vit des heures sombres, touché par de nombreux drames. Des dizaines d'hommes péris en mer lors de la "Grande Pêche" endeuillent de nombreuses familles. La grand Dame réclame son quota de victimes et Cancale pleure ses morts. C'est à cette époque que fut construite au dessus de l'Anse du Verger(nous y reviendrons) une chapelle dédiée à ces courageux marins. Des ex-votos, des tableaux et des vitraux y évoquent les dangers de la mer.
Cancale est désormais un joli port de pêche qui contrairement a beaucoup de ses voisins ne possèdent pas de marina pour accueillir la plaisance à voiles. Cependant ici se conjuguent tous les plaisirs de la côte(promenades sur les sentiers des douaniers, baignades, visites de malouinières et bien entendu restauration gastronomique essentiellement basée sur les produits de la mer). Les tas de coquillages qui s'empilaient sur le sable sont devenus des bourriches. Au pied du sémaphore, les marchands d'huîtres tiennent tous les jours boutiques, un oeill sur leur étal, un autre sur la baie où des bataillons de fourmis s'activent au loin dans les parcs.
La Cancalaise sous voile
Pour en finir, Cancale c'est aussi "Can 87" ; la bisquine appelée la "Cancalaise", construite sur les plans de la Perle(1905). Lancée en 1987 sous le parrainage d'Eric Tabarly, ce bateau de "travail" tellement toilé que l'on dirait un oiseau prêt à s'envoler, avait disparu au milieu du XIXème. Né aux alentours de 1810 dans la baie du Mont St Michel, il était capable de tirer un chalut ou de draguer les huîtres. Aujourd'hui la Cancalaise régate avec sa jumelle de Granville et tire des bords au large pour le plus grand plaisir des yeux, nous faisant quelque part revivre la grande époque.
La Cancalaise au sec sur la grève de la Houle
Avant de quitter le bourg, il ne faut pas oublier de faire un petit tour au Musée entièrement consacré aux huîtres. Vous y apprendrez leurs différentes origines, leurs cultures et leurs appelations.
Notre prochaine escale sera St Malo, pour y accéder nous emprunterons la route de la Côte qui serpente durant des kilomètres en nous livrant des points de vue magnifiques. Ne manquez surtout pas ce prochain rendez vous si vous vous sentez l'envie de me suivre cheveux au vent.