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Titre du blog : Mes passions
Auteur : kryspassions
Date de création : 18-12-2013
 
posté le 06-01-2014 à 11:10:27

Il était une fois "le Buron"

 

Harbourg et le grand jardin à Marée basse

 

 

Soudain un hurlement inhumain à glacer le sang déchire l'air, mon père vient de se faire coincer entre la barre et l'un des bancs du cockpit(13 mm d'épaisseur) qu'il casse d'ailleurs avec son dos. Le gouvernail doit être prisonnier d'une faille bloquant ainsi la barre . Impossible de faire quoi que ce soit tant la pression est forte, fort heureusement cela ne dure que très peu de temps, Tiki repartant sur l'autre bord libère son capitaine. C'est à ce moment que la décision est prise de quitter le bord. Mon père souffre énormément, l'hématome qui apparaît sur son ventre ne laisse rien présager de bon, nous espérons tous qu'il n'a pas une blessure interne requiérant des soins d'urgence.

 

 Comme l'on dit, les femmes et les enfants d'abord ... Avant de descendre dans le youyou qui nous attend, je me saisis d'un petit éventail en plastique(très laid) que ma mère m'a acheté à Jersey. Le transfert n'est pas simple, le voilier peu concerné semble t'il par notre départ continue sa gigue frénétique. Dans les minutes qui ont suivi j'ai cru à plusieurs reprises ma dernière heure arrivée, recroquevillée dans le fond de la minuscule embarcation je fermais les yeux, retenant mon souffle, à chaque fois que Tiki revenait se vautrer de mon coté. Nous sommes finalement tous les quatre dans l'annexe, mon père est decendu le dernier, on sent qu'il a du mal à se résoudre à cet abandon . Bob nous éloigne à grands coups de rame vigoureux de la coque menaçante. Tristes nous le sommes tous, Tiki fait peine à voir, il semble nous supplier de rester à ses côtés. Je pleure maintenant à grosses larmes, que ne donnerais je à cet instant pour que ce cauchemar cesse et que notre vieil ami reprenne sa fière allure de toujours. Brusquement alors que nous sommes plongés dans nos pensées, Bob s'écrie :

 -"La vache, il part sans nous!"

 Effectivement, Tiki s'est redressé et flotte, nous narguant peut être un peu. Il semble nous dire :

-"Et bien vous voyez que tout n'était pas fini...Vous feriez bien de vous dépêcher de venir me récupérer plutôt que de rester bouche bée".

Aussi vite que nous le permet le pneumatique nous rattrapons le fugueur qui s'il s'est libéré des cailloux n'est pas sauvé pour autant. Nous nous sommes plantés sur l'avancée rocheuse d'un ilôt et si le bateau est actuellement dans un trou d'eau libre il n'en est pas moins entouré par d'autres  récifs.

 

 Bob et mon père remontent à bord en priant le ciel que Monsieur Johnson n'est pas subi d'avaries trop graves et qu'il daigne redémarrer. Sans moteur la partie est perdue d'avance à long terme, les courants risquent de pousser le voilier qui rencontrera inévitablement un autre caillou. Les voiles quant à elles ne pourraient être d'aucun secours, Tiki n'est pas un dériveur léger qui vire sur place. Tiki veut vivre et son diesel aussi apparement puisqu'au premier coup de démarreur et accompagné d'une magnifique gerbe d'eau il se met à ronronner sans même un hoquet. L'espoir renaît, tout n'est pas perdu. Le bateau s'est battu pour continuer sa route, à nous maintenant de le ramener au port et de panser ses blessures. La cabine, aux dires de mon père, est une petite piscine, ce qui est d'ailleurs visible puisque la ligne de flottaison a disparu sous l'eau. Toujours dans l'annexe avec ma mère, je regarde les deux marins s'affairer, mon père s'il souffre toujours semble avoir oublié sa blessure. Subitement et oh miracle, le voile de brume qui ne nous a pas quittés depuis le matin se déchire nous permettant ainsi de découvrir que la situation est relativement critique. Bob se précipite sur les fusées de détresse qui heureusement ne sont pas trop humides et parvient à en envoyer deux d'affilé.

 

 Au loin dans la baie croisent plusieurs bateaux qui attendaient probablement une éclaircie pour sortir, nous avons appris par la suite que même faible la visibilité était nettement meilleure près de la côte. Deux dériveurs, un chalutier et ce qui semble être un "Folie douce" font déjà route vers nous probablement interloqués de voir une aussi grande unité si proche de l'île de Harbour. L'appariton des deux gerbes rouges de détresse ne fait que les conforter dans leur idée qu'il se passe quelque chose d'anormal. Les pêcheurs arrivent bien entendu les premiers sur place et proposent de nous prendre en remorque. Ils n'on pas besoin d'explications pour voir que Tiki est entrain de couler doucement malgrè la pompe électrique qui tourne en continu. Ces hommes de la mer connaissent le coin comme leur poche et c'est grandement grâce à eux que le bateau retrouve enfin sa liberté. Embarquées sur un dériveur qui va nous déposer sur une cale à St Malo, nous regagnons la maison avec ma mère en fin d'après midi. Le porte monnaie étant resté à bord, il nous faut faire du stop au grand dam de ma chère maman qui désapprouve cette pratique.

 

Ce n'est que bien plus tard dans la soirée que nous avons des nouvelles . Tiki va aussi bien que possible, mis au sec dans un chantier naval, il attend sagement de se faire bichonner avant de retrouver les vagues et le large.

 

Durant des mois, mon cher capitaine de père a été obligé de me traîner de force à bord après cette journée particulière. Il a fort bien fait et je ne peux que le bénir d'avoir été plus têtu que moi. Psychologiquement éprouvée, j'ai dû surmonter ma terreur des reflets dans l'eau et de la gîte. C'était plus fort que moi même lorsque je savais qu'il n'y avais pas le moindre rocher à des miles à la ronde. J'ai lutté longtemps pour retrouver ma passion et si j'y suis parvenue c'est que mon amour pour la mer, la voile et le large a probablement été le plus fort. J'ai fini par retrouver toutes mes sensations, mais trop tard pour Tiki et moi, vendu 3 ans après l'échouage, il est au fond de l'eau lorsque je peux enfin refaire corps avec un voilier. C'est à bord du Teb qu'un beau jour j'ai à nouveau su barrer au moindre frisson de la coque. Ce Half Tonner de 9 mètres que je vois moi aussi cingler vers le large de la fenêtre du salon n'a jamais remplacé Tiki dans mon coeur mais il y conserve néanmoins une place particulière.

 

 

Baie de St Malo, prise de la cale de Dinard